Wêmuot (2022)

description

WêmuotPoétique rhénane du 9è au 16è Siècles

Date de sortie numérique : 31 mars 2022. Label numérique : Believe. Éditeur : Laurent Balandras. Photographie de couverture : Dystophotographie.

 

Thème de l’album : il s’agit d’un EP consacré au thème de textes d’auteurs alsaciens du 9è au 16è Siècles. Références : Otfrit von Weissenburg (790-870) (premier poète de langue germanique), Reinmar von Hagenau (1150-1205) (minnesänger – troubadour), Gottfried von Strassburg (1180-1215) (minnesänger – troubadour), Johannes Tauler (1300-1361) (mystique), Sebastian Brant (1494-1521) (moraliste) et Thomas Murner (1475-1537) (satiriste). Textes : domaine public. Guitares, musiques, arrangements et production : Éric Kaija Guerrier. Récitatifs en vieil-haut-allemand (750-1050), en moyen-haut-allemand (1050-1350) et en nouvel-haut-allemand précoce (1350-1650) : Carole Werner. Enregistrement, mixage et mastering : Frank-Jean Schmidt, studio Barberousse, Wintershouse.

weepers circus fou et la balance

1. Otfrit von Weissenburg (790-870)

« J’ai raconté que [les Francs] sont de vaillants chevaliers,

Qu’ils craignent Dieu et qu’ils possèdent beaucoup de connaissances 

À présent je veux chanter notre salut

Je veux écrire l’histoire sainte, l’évangile,

Comme j’ai commencé à le faire, en langue franque,

Pour que nous ne soyons pas les seuls à devoir renoncer

À pouvoir louer le Christ dans sa propre langue.

[…] Que tous se réjouissent, ceux qui sont de bonne volonté

Tous ceux qui veulent du bien au peuple des Francs

De ce que nous puissions louer le Christ dans notre langue

Puisque nous n’avions pas pu louer le Christ en francique. »

Source : Otfrid von Weissenburg, Evangelienbuch, Stuttgart, 1987, Reclam.

2. Reinmar von Hagenau (1150-1205)

 « Lorsqu’Amour vint et fondit sur moi

Que fit alors Merci

De n’y porter enfin remède ?

Je fis comme ceux 

Qui voudraient être heureux : 

À plus d’un Consolation fut bonne conseillère

Si seulement elle en faisait de même avec moi ! 

Mais, hélas, derrière la porte

Elle s’est cachée aujourd’hui. 

Si elle peut voir un peu ma foi, 

Au nom de Dieu, qu’elle se montre

Et me délivre de mon tourment !

Car j’ai, selon l’usage courtois

Attendu jusqu’à ce jour dans la crainte

Que la noble dame daigne me jeter un regard. 

Hélas ! Quel pouvoir elle exerce sur moi. »

Source : Reinmar von Hagenau, Chants d’amour, traduction de Béatrice Weis, Paris 1990, Arfuyen.

3. Gottfried von Strassburg (1180-1215)

« Quand l’homme et la femme,      

Iseult et Tristan,

Eurent bu tous les deux la boisson

Fut également là ce qui enlève toute tranquillité au monde :

L’amour, qui harcèle les cœurs

Il s’introduit dans le cœur de tous deux ;

Avant qu’ils ne s’en fussent rendus compte,

Il planta son drapeau de victoire

Et les prit chacun en son pouvoir. »

Source : Georges Holderith, Poètes et prosateurs d’Alsace. Une anthologie, Strasbourg 1978, Dernières Nouvelles d’Alsace et Istra.

4. Johannes Tauler (1300-1361)

« Mes enfants, cet évangile nous raconte qu’une femme semble avoir perdu un pfennig, qu’elle alluma une lanterne pour chercher la pièce de monnaie : cette femme représente l’essence divine (Dieu), la lanterne l’humanité divinisée, le pfennig, c’est l’âme. Ce pfennig doit avoir trois choses et s’il lui en manque une, ce n’est pas un vrai pfennig. Il faut qu’il ait le bon poids, le bon matériau, les côtés « pile » et « face ». C’est une nécessité d’avoir cela. Il faut qu’il en soit en or ou en argent : ce doit être le matériau. Ah mes enfants, quel pfennig extraordinaire ! C’est sans doute un pfennig en or, et il se passe une chose extraordinaire et incompréhensible avec ce charmant pfennig ! Il doit avoir un poids. Imaginez-vous : ce pfennig ne pouvait pas être pesé : il pèse plus que le royaume des cieux et le royaume d’ici-bas, et tout ce qui est contenu dans ce pfennig, parce que Dieu est dans ce pfennig et c’est pourquoi il pèse autant que Dieu. Le matériau de ce pfennig, c’est l’essence divine incarnée, qui s’est glissée dans cet esprit par le fait que son amour indicible soit au-dessus de tout, et qui, encore et encore, s’est avalée soi-même. »

 

Source : Mystiques allemands du XIVè siècle. Eckart, Suso, Tauler, choix de textes, introduction et notes par J.A.Bizet, Paris, 1957, Aubier Montaigne.

 

5. Sebastian Brant (1494-1521)

« Je mène la danse des fous

Car je suis bien entouré de livres 

Point lus, auxquels je n’entends rien. 

Si je suis en proue de la nef

Ce n’est pas sans juste raison

Et salut à qui bien m’entend : 

Je m’appuie sur m’a librairie

En ma maison j’ai force tomes. 

Qu’importe si je n’y entends mie : 

Je les tiens en très haute estime, 

Les époussette, les émouche. 

Entendant parler savamment, 

Je dis : « j’ai tout cela chez moi ». 

Il me suffit, pour être aux anges

D’avoir autour de moi mes livres. 

On dit que Ptolémée avait

Tous les livres du monde entier

Et les tenait pour son trésor

Il les rangeait sur les rayons

Et n’en n’était pas plus savant. 

J’ai autant de livres que lui : 

Du diable si jamais je lis ! 

Qu’irais-je m’altérer l’esprit

M’empêtrer d’amas de savoir ? 

L’étude encombre de chimères ! 

Ne puis-je pas en grand seigneur

Payer, qu’on s’instruise à ma place ? 

Et quoique j’aie l’esprit obtus

Lorsque je suis parmi les doctes

Je sais dire en latin « Ita ! »

Mais dans le registre allemand 

Suis plus à l’aise qu’en latin. 

Je sais que vin se dit vinum

Cocu gucklus, stultus crétin, 

Me fais appeler « docte sire » : 

Je n’ai qu’à cacher mes oreilles 

Nul n’y verre l’âne du meunier. »Source : Sébastien Brant, La Nef des fous, traduction revue et présentation par Nicole Taubes, 3è édition, Corti, collection Les Massicotés, Paris, 2004. 

6. Thomas Murner (1475-1537)

« Moi qui suis un pauvre meunier, je ne puis que me plaindre et parler de l’âne que j’ai perdu, qu’ils m’ont enlevé et dont je déplore l’absence encore aujourd’hui. Celui qui perd se plaint et fait part dignement de sa perte : si on m’avait laissé mon bien chez moi, mon âne là-bas à Schwindelsheim, je n’en voudrais à personne. Mais si on me fait du tort, je rendrai la monnaie de la pièce. Mais qu’ai-je fait aux gens pour qu’ils ne laissent pas mon âne tranquille ? Ils traitent mon âne tellement bien qu’il ne sera plus bon à rien.  Si on ne lui faisait pas de si grands honneurs, Il serait encore dans mon moulin. »

 

Source : Gravier Maurice, Anthologie de l’allemand du XVIè siècle, Paris 1947, Aubier